d’après Virginie Despentes (éditions Grasset, 2006)
adaptation et mise en scène : Emmanuelle Jacquemard
avec Rachel André, Marie-Julie Chalu, Célia Cordani, Ludivine Delahayes, Lauréline Romuald
scénographie : Pauline Bernard
Viol, prostitution, pornographie : dans King Kong Théorie, son essai coup-de-poing, l’auteure et réalisatrice Virginie Despentes fait voler en éclats tous les tabous de la condition féminine, Dans le huis-clos d’un salon de beauté, ses mots prennent chair dans les corps de cinq femmes d’aujourd’hui. Un appel explosif à repenser la féminité et la masculinité, drôle, provocateur ou douloureux, mais résolument non-conformiste !
NOTE D’INTENTION
Il suffit d’une recherche Google pour se rendre compte d’à quel point King Kong Théorie continue de retentir, depuis sa publication en 2006, comme un pavé dans la mare des conventions sociales. Si l’ouvrage a fait l’objet de nombreuses critiques « officielles », plus ou moins élogieuses suivant la publication, il est surtout frappant d’observer le nombre de blogs, féministes, ou non, tenus par des femmes, ou non, qui le mentionnent, l’analysent et en publient des extraits. Comble de l’ironie, King Kong Théorie est même relayé sur le forum d’un site dédié à des conseils de séduction pour hommes hétérosexuels – avec les dérives auxquelles il faut bien entendu s’attendre…
Les raisons d’un tel engouement sont nombreuses : un texte court (une centaine de page), à la fois théorique, pratique et autobiographique. Un texte-manifeste – le mot est de l’éditeur – comme on en lit peu, qui procède d’une vraie expérience de la vie, un texte écrit avec les tripes, avec une rage, et surtout une sincérité dont peu d’ouvrages de ce type peuvent se targuer. Un texte qui est à la fois le reflet d’une sacrée personnalité et qui parvient au fil des lignes, à toucher à l’universel, à parler à tous et pour tous, hommes ou femmes, hétéros, homos, bis, trans, mères de familles, vieilles filles, célibataires endurcies et minettes pas si bêtes.
Découvert à demi-mot sur un plateau de théâtre, puis lu, relu et rerelu, King Kong Théorie fait partie des textes qui m’ont aidé à vivre, à traverser des moments de ma vie, à me construire, moi qui suis née vingt ans après Virginie Despentes et appartiens à une génération censée être toujours plus libérée, mais où la domination n’a pas tellement changé de côté. C’est aussi un texte que j’ai beaucoup partagé : en l’offrant, en le prêtant, en en parlant aux femmes et aux hommes de mon entourage, souvent dans des circonstances où cela me semblait nécessaire, c’est-à-dire des circonstances inattendues et bien souvent douloureuses. Au-delà de l’intime et du personnel, King Kong Théorie est aussi un texte fort de mon parcours théâtral. Car ce qui fait de ce texte plus qu’un simple objet théorique, c’est aussi son style, ce style-fleuve et fleuri, cet humour décapant, cette énergie qui affleure à chaque page, et qui vient servir un propos intrinsèquement théâtral. King Kong Théorie est théâtre en ce qu’il parle avant tout du corps : corps enfermé, entravé, violé, mais aussi corps libéré, montré, vendu de son plein gré ; corps sexuel, jouissant, exaltant, autant que corps désacralisé, corps à nu, corps sans artifice.
Récit de la construction d’une personnalité catégorisée comme « sulfureuse », King Kong Théorie transforme l’essai en allant bien au-delà d’un texte autobiographique : à travers l’expérience de Virginie Despentes, chacune d’entre nous peut retrouver sa propre histoire, sans qu’elle ne soit nécessairement similaire. Chacune, et chacun : car l’homme n’est jamais bien loin dans King Kong Théorie ; double nécessaire, parfois haï, parfois insulté, mais aussi analysé, disséqué, décrypté avec plus de tendresse qu’il n’y paraît, il est au centre de la réflexion de l’autrice, au centre même de son appel à changer les choses. Même, et peut-être surtout dans ses contradictions, King Kong Théorie parle de nous : de la façon dont, au 21ème siècle, après des décennies de domination masculine, nous essayons d’inventer la façon de vivre ensemble, avec tout ce qu’elle comporte d’injuste et de problématique.
Il s’agira donc de faire entendre ce texte, aussi fidèlement que possible, et sans céder à la facilité du politiquement correct, sur une scène de théâtre. Il s’agira de le faire entendre en inventant un théâtre où le corps occupera bien entendu une place centrale ; un théâtre à l’image du livre, drôle, structuré, intelligent, mais aussi provoc, trash, punk, hors cadres, hors champ, hors normes. Parce que King Kong Théorie est porteur d’une réflexion collective, je souhaite que ce texte soit porté par un collectif : un groupe de cinq comédiennes, volontairement hétérogène, qui s’appropriera et se répartira ce « je » si personnel et si universel. Cinq jeunes comédiennes d’aujourd’hui, aux corps, aux vécus, aux personnalités forcément plurielles. Le pari de cette adaptation est celui d’un ovni, d’un objet théâtral qui se veut créateur de débat, de réflexions et d’émotions.
Emmanuelle Jacquemard